Dans de beaux habits #2 – Le blanc immaculé des reliures médiévales de Clairvaux

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Par Emmanuelle Minault-Richomme | Le 30 juin 2020 | Manuscrits et incunables

Pour ce premier épisode de la série dédiée à l’art de la reliure, les manuscrits médiévaux sont à l’honneur. Deuxième fonds public de France en la matière, après la Bibliothèque nationale de France, la médiathèque de Troyes conserve quelque 1700 manuscrits de cette grande période historique et artistique, de la Règle pastorale du pape Grégoire le Grand, copiée de son vivant vers 600 (Ms 504), à de somptueux livres d’heures enluminés du 15e siècle.

Au sein de cette collection, l’ensemble le plus important provient de la prestigieuse abbaye de Clairvaux, fondée en 1115 par saint Bernard. On dénombre en effet encore pas moins de 1240 volumes, dont nombre d’entre eux présentent toujours leur reliure d’origine, témoins extrêmement précieux d’un savoir technique et artistique. Au regard de la période, on parle alors de reliures romanes. Dans le cadre de programmes de recherche, des travaux récents ont permis d’avancer significativement dans leur histoire.

Si techniquement la fabrication des codex de Clairvaux est traditionnelle, on constate un niveau d’exigence élevé dans la sélection des matériaux utilisés. Les feuillets de parchemin pliés forment des cahiers, cousus ensemble pour former le corps d’ouvrage. L’ensemble est maintenu et protégé par deux épaisses planches de bois, souvent de chêne ou de hêtre, qu’on appelle des ais, recouverts d’une couvrure en cuir. Elodie Lévêque, chercheuse à l’IRHT, précise « qu’à Clairvaux, celle-ci est majoritairement constituée de peau mégissée, préparée en blanc par tannage à l’alun ». La couvrure des manuscrits romans réalisés à Clairvaux aux 12e et 13e siècles est ainsi d’un blanc immaculé, en écho au vêtement cistercien, symbole de pureté, de pauvreté et d’austérité.

Le schéma de gauche représente l’anatomie d’une reliure médiévale. Extrait de : Élisabeth Baras, Jean Irigoin et Jean Vezin, La reliure médiévale : trois conférences d’initiation, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1978, (fig. 31)

À des fins de protection, certaines reliures, plutôt de grand format, étaient enveloppées d’une housse, appelée « chemise à liseuse », faite de peau de bêtes non épilées. On parle alors de libri pilosi ou livres velus. Depuis plusieurs années, ces reliures font l’objet de recherches scientifiques sur les techniques et les matériaux utilisés : on a ainsi découvert qu’il s’agit de peau de phoque, et non de cerf comme on pouvait le penser en Champagne méridionale, témoignant de nombreux échanges au sein de l’ordre en Occident.

Si l’on observe la reliure du manuscrit des Commentaires de saint Jérôme sur le prophète Isaïe (Ms 35), on y retrouve, outre cette fameuse housse, maints détails caractéristiques des pratiques médiévales propres aux établissements monastiques, à tout le moins leurs traces : des oreilles, éléments constitués des excroissances en forme de demi-lune de la couvrure en tête et queue du dos ; des marques de boulons ou clous, « ces ornements métalliques fixés aux ais (en général, aux quatre coins), permettant, à une époque où les livres étaient serrés dans des coffres, rangés à plat sur des étagères, des lutrins et des roues, d’éviter les frottements de la couvrure contre le bois du mobilier et de la préserver d’une usure prématurée ». Situés au centre des plats, on les nomme ombilics. Sur le plat inférieur de la reliure, on repère enfin des traces de fermoirs et de chaîne.

On explique souvent la dégradation des objets patrimoniaux ecclésiastiques par la fureur révolutionnaire. Or, s’agissant des reliures médiévales de Clairvaux, c’est une tout autre histoire : avec le temps, la bibliothèque de l’abbaye se développe considérablement ; les livres, manuscrits puis imprimés, se relèvent progressivement, pour être stockés à la verticale comme aujourd’hui. Ce qui protégeait alors la couvrure de l’usure, comme les boulons et autres ferrures, se met à gêner et à prendre trop de place. Ainsi, les volumes sont-ils dépouillés de leurs parures d’origine ; en outre, plusieurs campagnes de reliure sont menées par les moines bibliothécaires tout au long de l’Ancien Régime.

Conservée jusqu’à la Révolution dans la collégiale Saint-Etienne de Troyes, la Bible dite des comtes de Champagne datée du 12e siècle (Ms 2391) présente quant à elle sa reliure d’origine, en peau de veau sur ais de bois, témoin remarquable de la bibliothèque comtale.

L’histoire de la reliure médiévale court jusque dans les années 1530-1540. Pour tout savoir sur ce sujet passionnant, suivez sans modération et avec grande attention la conférence de Nathalie Coilly, donnée à la Bibliothèque nationale de France en 2016 !

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2 Commentaires

  1. Atelier de reliure abbaye de Maumont

    Bonjour,
    ces images assorties de quelques commentaires sont très intéressantes. Je vous en remercie.
    Un regret : l’impossibilité de charger la conférence de Nathalie Coilly pour étudier plus en détail cette page d’histoire de la reliure.
    Vous serait-il possible de rendre ce chargement possible ou d’indiquer comment s’y prendre ?
    Grand merci à vous
    S. E.

    Réponse
    • Anne-Charlotte Pivot

      Bonjour,

      Vous pouvez accéder à la conférence demandée en suivant ce lien :
      Si vous souhaitez sauvegarder la vidéo dans vos dossiers personnels, vous pouvez faire « clic droit » puis « enregistrer la vidéo sous ».

      Bien cordialement,

      Anne-Charlotte Pivot, pour l’équipe de la Médiathèque.

      Réponse

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