Cabinet de curiosités #3 – D’azur au bœuf passant d’or

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Par Emmanuelle Minault-Richomme | Le 8 avril 2020 | Imprimés

Les bibliothèques sont, étymologie oblige, des lieux où l’on conserve principalement des livres manuscrits ou imprimés. La formidable collection patrimoniale de la Médiathèque Jacques-Chirac en atteste. Mais les aléas de l’histoire, locale et nationale, ont régulièrement permis l’introduction dans les fonds d’éléments plus inattendus, comme des objets. 

C’est « la bibliothèque de neuf générations », disait Albert Ronsin, que l’abbaye de Clairvaux acquiert en 1782. Ces quelque 31 600 imprimés, 2 000 manuscrits et divers objets avaient été en effet amoureusement collectionnés du 16e au 18e siècle par les Bouhier, famille de magistrats bourguignons. Mais la lignée de bibliophiles cesse avec le comte d’Avault, qui par besoin d’argent vend la collection dont il avait hérité pour la somme de 135 000 livres tournois, soit 1 132 700 francs ou 172 800 euros, alors que le tout avait été estimé à 300 000 livres !

Si de nombreux inventaires et catalogues de tous ces ouvrages ont été établis au fil des siècles par leurs différents possesseurs, offrant une connaissance assez fine de la collection et de son histoire, il y a d’autres éléments qui nous donnent aussi des informations sur la provenance, comme les reliures.

Suivant une mode qui prend de l’ampleur vers 1650, Jean III Bouhier (1607-1671) habille les livres de sa bibliothèque de veau blond présentant un décor à la Duseuil et marque les plats aux armes de la famille, dites d’azur au bœuf passant d’or. Le choix de cette figure animale s’explique par un jeu de mot avec le nom Bouhier, variation bourguignonne du mot d’origine latine « bouvier », celui qui s’occupe des bœufs. Il s’agit ainsi d’armoiries parlantes.

Ci-dessus : Reliure veau blond aux armes de Jean III Bouhier dans un décor à la Duseuil sur : Aratos de Soles, « Phénomènes », Cologne, 1569. [v.4.210]. Photo Médiathèque Jacques-Chirac, Troyes Champagne métropole

En fonction de la taille des volumes, Jean III fait graver quatre fers, qui représentent un même dessin : au centre, un bœuf passant, patte antérieure gauche levée, queue relevée formant un huit allongé sur son dos, inscrit dans un écu sur pointe ; de chaque côté, deux lévriers contournés supportent le blason, surmonté d’un heaume portant lui-même une tête de bœuf. Héritière du fonds de Clairvaux, la médiathèque de Troyes conserve encore des centaines de ces reliures armoriées, ainsi que le plus grand fer de la série (90 x 72 mm). Ce rare témoin de bibliophilie est présenté dans l’exposition permanente « Mille ans de livres à Troyes ».

Techniquement, le fer à dorer est chauffé pour estamper, c’est-à-dire imprimer un décor sur la reliure de cuir ou de parchemin. Avant d’apposer le motif sur la surface, celle-ci est recouverte d’une fine couche de clair d’œuf ou d’huile, pour fixer la feuille d’or.

Petit-fils de Jean III, Jean IV Bouhier (1673-1746) enrichit la bibliothèque familiale qui comptera quelque 25 000 ouvrages à sa mort. À partir de 1707, il marque à son tour les volumes d’un nouveau fer dont la figure héraldique centrale reste le bœuf passant, mais inscrit dans un ovale, supporté par deux lévriers cette fois-ci affrontés et surmonté d’une couronne comtale. Ce fer orne notamment de somptueuses reliures de maroquin rouge, telle celle qui recouvre la Traduction de l’Enéide de Virgile par Jean Segrais (Paris, 1668).

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