Buvons du thé !

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Par Anne-Charlotte Pivot | Le 4 novembre 2022 | Collections patrimoniales | Imprimés

« Buvons du thé encore du thé en nous souhaitant, mon cher, un joyeux non anniversaire ! » s’exclame le Lièvre de Mars dans le célèbre roman de Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, en brandissant sa tasse, preuve de la popularité et de la convivialité de cette boisson en Occident au 19e siècle !

lewis carroll, « Alice au pays des merveilles », 1865

Mais d’où vient le thé à l’origine ? Quand s’est-il démocratisé ? Si l’on en croit l’érudit Okakura Kakuzō (1863-1913), la singularité du thé viendrait du fait qu’il n’a « ni l’arrogance du vin, ni l’amertume du café, encore moins l’innocence minaudière du cacao ». Boisson populaire en extrême-orient (Chine, Corée, Japon) à compter du 4e siècle avant notre ère, le thé demeure une denrée quasi-exclusivement chinoise jusqu’au 8e siècle, époque à laquelle les plantations de thé matcha font leur apparition au Japon.

D’après la légende, le thé existerait en réalité depuis l’an -2737, lorsque des feuilles de théier sont tombées dans le bol d’eau chaude que consommait l’empereur mythique, Shennong. Agréablement surpris par le goût de la boisson, il l’aurait adoptée et diffusée au sein de son royaume. S’il n’existe aucune preuve archéologique venant accréditer cette thèse, on sait que toutefois avec certitude que le thé devient un breuvage courant à partir du 2e siècle avant J.-C., date à laquelle de nombreux traités médicaux chinois lui attribuent des vertus médicinales.

Il faut néanmoins attendre l’époque moderne (16e-18e) et les premières vagues de colonisation pour que le thé s’exporte en Europe, d’abord aux Pays-Bas puis au Royaume-Unis via les Indes. En France, le commerce du thé débute sous le règne de Louis XIII (1601-1643), en même temps que l’import d’autres denrées coloniales telles que le café et le chocolat. Il est alors employé à la fois pour des préparations médicinales, pour servir d’herbe à salade ou de plante à fumer. Selon les textes de l’époque, on le déguste à l’européenne, tantôt avec une pointe de lait, tantôt avec du sucre, comme en atteste l’ouvrage Le preste médecin ou discours physique sur l’établissement de la médecine, avec un traité du caffé et du thé de France » (1696) :

« On le fait sécher à la manière indienne en le secouant ou dans des « andouilles » comme pour le tabac afin d’en conserver l’odeur. On le sert comme en Inde, en le faisant bouillir avec de la mélisse et on y ajoute du sucre également […]. Le thé de France a les mêmes vertus que celui des Indes ».

Le preste médecin, avec un traité du caffé et du thé de france, p. 210-212

Contrairement à ce qui est notifié ci-dessus, il n’existait pas réellement de « thé de France ». L’auteur fait probablement référence au traitement des feuilles de thé une fois arrivées en France. Il décrit d’ailleurs les différentes étapes du traitement du thé en France, à savoir le flétrissage, le séchage, le tamisage et la cuisson.

Dans cet ouvrage, l’auteur parle également de « thé indien », ce qui est historiquement faux puisqu’à cette époque tous les thés étaient produits en Chine, et ce jusqu’au 19e siècle. Nicolas Andry de Boisregard, l’un de ses contemporains, dans Le thé de l’Europe ou les propriétés de la véronique (1746) distingue d’ailleurs parfaitement le thé chinois extrait de feuilles de théiers (camellia sinensis) , de ce qu’il appelle le « thé de l’Europe » ou « thé suisse » et qui n’est autre qu’une plante assez commune, à savoir la véronique (veronica), connue pour ses propriétés médicales, et consommée sous forme d’infusion, sans être pour autant une variété de thé, au sens où on l’entend.

S’il existe des approximations dans certains ouvrages médicaux, la plupart des titres parus à l’époque moderne (16e-18e) décrivent assez bien la provenance et les vertus du thé. Ainsi, l’apothicaire lyonnais Philippe Sylvestre Dufour dans son livre Traité nouveau et curieux du café, du thé et du chocolate (1685) nous donne des indications sur la culture, le commerce et la consommation du thé en Europe à la fin du 17e siècle. Tout d’abord, il distingue la façon de déguster le thé en Chine, au Japon et en France :

« On le fait infuser et sa couleur est verte ou jaune […]. Les chinois font bouillir de l’eau dans un vase et quand elle boût bien, ils la retirent du feu et y mettent de cette feuille selon la proportion d’eau […]. La façon de servir du thé [chez] les japonois et chinois est bien différente. [Il en est de même] en France, où on y ajoute du sucre »

Philippe sylvestre dufour, « Traité curieux du café, du thé, du chocolate », 1685, P.243-257.

Le contenu de son ouvrage nous indique également les vertus du thé. D’après lui, il guérit les maux de tête, les maux d’estomac, la goutte, la gravelle, la colique, la rate et les rhumatisme, surtout lorsqu’on le consomme avec du lait. Cependant, il est susceptible d’empêcher le sommeil.

Dans les ouvrages du 17e-18e, en revanche, on ne trouve aucune mention de cérémonies du thé. Cela s’explique par le fait que ce rituel traditionnel date du 19e. En voici quelques représentations issues du fonds Victor Collin de Plancy que possède la Médiathèque.

Aujourd’hui largement démocratisé, le thé est une boisson couramment consommée dans le monde. On compte des centaines de variétés, et on trouve désormais des plantations sur l’ensemble des continents. Alors, plutôt thé vert ou thé noir ?

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1 Commentaire

  1. martine demessemacker

    Article très intéressant ! merci

    Réponse

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