Des Animaux et des Hommes #1 – Êtres en marge

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Par Géraldine Roux | Le 26 décembre 2018 | Billets invités

A l’occasion du cycle de conférences « Des Animaux et des Hommes », organisé en partenariat avec l’Institut Rachi de Troyes, les équipes du blog 11km de Patrimoine et de l’Institut Rachi vous proposent une série de billets sur les relations entre l’Homme et l’Animal à travers les documents anciens conservés à la Médiathèque de Troyes Champagne Métropole.

 Un code de lois, une somme de droit canon… Rien de plus sérieux et imposant. Dans les marges du manuscrit on aperçoit de drôles de personnages et une vie foisonnante, tantôt humoristique, tantôt effrayante, pleine de fantaisie. Que nous disent ces êtres en marge, riant de notre sérieux, libres dans les espaces vides du texte ?

L’un des premiers feuillets du Manuscrit 60 contenant le Décret de Gratien. Provenant de la bibliothèque de l’ancienne abbaye de Clairvaux, il est aujourd’hui conservé à la Médiathèque de Troyes Champagne Métropole. [Ms 60]. Photo Médiathèque de Troyes Champagne Métropole

Le Décret de Gratien, datant du 12e siècle, est une somme de droit canon, regroupant l’ensemble des lois et des règlements adoptés ou acceptés pour le gouvernement de l’Église et de ses fidèles. Le parcourir donne un peu le vertige… Il regroupe plus de 3800 textes, théoriques pour une partie et de nombreux cas de jurisprudence. Les reproductions présentées ici proviennent de la deuxième partie du Décret. Cette partie est consacrée aux causae, c’est-à-dire  aux « cas » judiciaires, qui expliquent une situation et la manière dont les juges la tranchent. Les premières causae, dans les feuillets du Décret présentés ici, sont relatives aux terres agricoles : que se passe-t-il si un propriétaire de sa terre meurt sans enfant, que se passe-t-il si un évêque propriétaire d’une terre meurt, qui récupère la terre d’un moine excommunié, etc… Et encadrent, s’incrustent souvent dans le texte de drôles de personnages et une faune haute en couleur : de la fileuse au dragon, en passant par un lapin courant, des diablesses et des serpents, des rinceaux à tête de clown, des bouffons et des oiseaux-poissons.

Que font tous ces personnages ? Ils semblent hors texte et pourtant nous sautent aux yeux. Désordonnés, à la périphérie, ils ont l’air de narguer le sérieux et l’ordre du texte. Et si, dans ce manuscrit copié et enluminé en Italie du Nord à la fin du 12e siècle, vous cherchez un message subliminal comme une réponse cachée au texte, un écho ou une consonance, vous faites fausse route. Ces êtres hybrides, courant et riant, n’ont que faire du texte : ils sont libres et vont où ils veulent, quitte à se faufiler entre les lignes.   

            Tout espace blanc est celui des drôleries et c’est leur monde. Chaotique et libre, drôle et grinçant, fantaisiste et monstrueux, il accueille tous les paradoxes. Cela divertit le lecteur ? Tant mieux mais peu importe. Les drôleries sont loin de s’en soucier. Elles vivent dans l’envers du décor et nous captivent parce qu’elles n’ont que faire de nos règles. On les repousse à la périphérie, à la marge ? Soit. Là où la page est blanche, tout est possible parce qu’au fond, c’est là où est la vie. Telle est la vie dans les marges, dans sa diversité et ses formes multiples jusqu’au monstrueux, à la manière des villes-refuges où la différence, loin d’être repoussée, est au contraire encouragée. Les marges accueillent et donnent l’hospitalité sans distinction de forme.

Dans Le Nom de la Rose, film de Jean-Jacques Annaud, Guillaume de Baskerville découvre, dans la bibliothèque de l’abbaye, un manuscrit enluminé par Adelme d’Otrante et s’exclame : « Un âne… enseignant les Ecritures aux évêques (Il glousse). Le pape en renard… et Messer l’Abbé en singe… Il avait un vrai don pour l’irrévérence et les images de comédie. » Les drôleries et chimères sont irrévérencieuses, certes. Elles soulagent l’esprit du sérieux du texte. Elles vivent aux marges profanes de textes sacrés. Mais pourquoi rions-nous autant en les regardant ? Peut-être parce qu’elles sont aussi le miroir de nous-mêmes, l’envers de nos apparences sociales. C’est le bouffon sous les habits de l’expert, la sirène rêvée par le notable… l’enfant encore présent sous les habits de l’adulte. Vous reprendrez bien un peu de marge ?

Pour feuilleter intégralement le manuscrit 60, vous pouvez vous rendre sur notre bibliothèque numérique à cette adresse.

Cet ancien billet publié sur notre blog vous indiquera le programme à venir du cycle de conférence Rachi 2018/19.

Quelques liens pour en savoir plus :

https://journals.openedition.org/crm/11605

http://memoirevive.besancon.fr/?id=370

http://expositions.bnf.fr/bestiaire/arret/1/index.htm

http://expo-animal-et-imaginaires.edel.univ-poitiers.fr/panneau2728.html?id=16

https://www.museum.toulouse.fr/-/une-excursion-dans-le-stupefiant-bestiaire-des-livres-medievaux

Texte des légendes : Etienne Naddeo

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